mercredi 11 avril 2007

Le Métro à Tokyo (1)

J'aimerai commencer une série de posts concernant le métro à Tokyo. Prendre le métro à Tokyo de façon quotidienne est une expérience complètement démente pour le gentil gaijin (étranger) qui atterrit dans cet univers si particulier. Disons que le métro est un univers en soi, et c'est dans ce lieu étrange et déconcertant que j'ai pu mesurer l'incroyable fossé culturel qui sépare le tokyoïte du gaijin. Ce premier post sert d'introduction, mais chaque aspect que j'ai déjà pu observer mériterait plusieurs articles. Tout d'abord, faisons un point. Que sait l'étranger du métro de Tokyo? Shinjuku est l'une (la?) des stations de métro les plus fréquentées au monde. Plus de deux millions de passagers par jour passent par la station de Shinjuku. Je n'ai pas encore eu l'occasion de prendre la ligne Yamanote (la plus fréquentée) aux heures de pointe mais dès que mes cours de japonais commenceront, je n'aurais pas le choix. Pour aller à Shinjuku, j'emprunte la ligne Odakyu, qui est déjà archi-bondée. Sur cette ligne, que ce soit à 10h30 AM ou à 15h de l'après-midi, ou même le soir, le métro est toujours rempli. Dans tous les guides sur le Japon, on pourra découvrir d'improbables photographies où l'on voit des employés de la station poussant des troupeaux entiers de salary-men dans une rame de métro conçue pour contenir le quart de toutes ces personnes seulement. Ces images sont connues, elles font pratiquement partie du folklore japonais, et amusent souvent l'occidental. On voit également très souvent des files d'attente qui semblent ne jamais finir devant les portes des métro. Eh bien tout ceci est vrai, mais la réalité est encore bien pire! Je ne sais même pas par où commencer. Ce qui choque immédiatement le français de base, avant même d'entrer dans le métro, ce sont ces improbables files d'attente. Imaginez un quai en longueur, et des dizaines de files perpendiculaires à ce quai, toutes parrallèles (parfois elles sont courbées quand il y a vraiment trop de monde). Par terre, une signalisation élaborée explique où commence la file d'attente, où elle se poursuit etc. Mise en contexte: pendant un an, j'ai bossé à La Defense, j'ai pris le RER A à Gare de Lyon ou Chatelet aux heures de pointe, très souvent il me fallait laisser passer deux trains avant de pouvoir enfin entrer dans l'un d'entre eux. A Châtelet, lorsqu'on descend l'escalator menant au quai, on aperçoit un troupeau humain, un amas de personnes collées, agglutinées, tel un bloc compact, et il faut se faire une place dans la "file". Lorsque le RER arrive, que les portes s'ouvrent, là les choses sérieuses commencent: il faut laisser les passagers descendrent du train, mais pas trop car ensuite, ils en profitent tous. Ensuite, une fois les gens descendus, il faut jouer des coudes, pousser, ne pas se laisser dévier, c'est un véritable rapport de force, le retour à nos instincts animaux les plus primaires, le sacre de la force physique comme moyen d'arriver à ses fins: là enfin, les heures de muscu passées devant le miroir trouvent une justification, aboutissent à un résultat. Au Japon, que nenni, le troupeau est organisé. Les files sont nettes, claires, et sans bavures: telle file passera par telle porte etc. Le gaijin se mettra donc gentiment derrière la dernière personne de la file et attendra patiemment son tour. Cette discipline hallucinante est simplement inimaginable pour le cerveau français. Une fois habitué à ce mécanisme, les choses sérieuses commencent également au Japon. Lorsque les portes s'ouvrent, la bataille commence, le but: trouver la meilleure place possible, selon une échelle de valeur précise et connue de tous. J'y reviendrai plus en détail. Pour commencer les places assises dans le métro (les places assises sont en longueur, le long de la rame de métro, c'est donc le contraire de ce qu'on a en France. C'est à dire que le passager assis voit les paysages défiler par la fenêtre d'en face, ainsi que les personnes assises en face). Ces places assises valent cher, bien plus cher que dans n'importe quel autre grande ville. Il faut savoir que le passager assis est assuré de faire bon voyage, car c'est très confortable et agréable, tandis que le passager debout vivra un enfer absolument indescriptible, poussé, collé, serré, agonisant dans l'indifférence générale. Il n'y a pas vraiment d'échelle de valeur pour ces places assises, disons qu'être assis représente simplement le must du must, le rêve ultime, le paradis perdu etc. Ensuite, et c'est là où cela se corse, parmi les places debouts (95% des personnes seront debouts), certaines sont mieux que d'autres. Il y a de multiples et infimes nuances, une échelle de valeur et l'on peut distinguer plusieurs catégories de places. J'y reviendrai.
L'objectif ultime lorsqu'on entre dans la rame de métro est de choper une place assise. Simple, se dit-on naïvement, les premiers entrés, ceux du début de file d'attente, seront les premiers servis. T-t-t-t-. Pas si simple. Que nenni là encore. C'est mal connaître les japonais. Si en France, la guerre a déjà commencée sur le quai, au Japon tout se joue lors de l'entrée dans la rame. Les japonais sont complètement aguerris à cette vie parrallèle (l'univers du métro). Même si vous êtes premier de la file d'attente, je peux vous jurer qu'un japonais aura réussi à s'asseoir avant vous. Vous n'imaginez pas l'acrobatie, la souplesse d'un japonais aguerri au métro. Ils se faufilent rapidement entre les gens, à une vitesse incroyable, à peine les voit-on. Comme des furets. Là le gaillard corpulent qui va d'un pas assuré directement à la place convoitée, et là la grand-mère souple qui zig-zag sous de multiples aisselles pour accéder au saint-graal. Là encore l'écolière zeste et vive qui vous contourne en deux temps trois mouvements. Et tout cela se passe dans un silence invraisemblable: une guerre sourde, des réflexes acquis durant des années de métro. En France c'est à base de "Ne poussez pas!" " Ahlala, Pff" et autres "Non mais ça va, là!", quand on ne passe pas directement aux mesquineries. Au japon, tout se fait dans un incroyable silence, tel un rituel. Sérieusement je n'en fais pas trop. Au début je me disais, mince, je suis quand même pataud, à chaque fois je me fais prendre la place que je veux (en sachant que cela ne se passe jamais comme si on voulait me prendre ma place, c'est fait de façon très subtile, l'air de rien, mais le résultat est le même). Donc j'ai essayé d'être plus volontaire, plus vif, et là j'ai observé et compris. Je ne suis pas en cause, ils sont juste malins et expérimentés. Une lutte quotidienne que je ne soupçonnais pas. J'ai encore beaucoup à apprendre. Ceci est le premier motif de surprise. Il y en a encore bien d'autres.

1 commentaire:

François a dit…

Très intéressant. Tu as beaucoup de talent et incontestablement un grand don d’observation. Quand trouves-tu le temps d’écrire ces perles ?

amo paco